lundi 16 mars 2009

A l'agence

Ils ne s’étaient jamais vraiment parlé.

A peine un salut matinal, dans l’ascenseur, lorsqu’elle avait son casque sur les oreilles et que lui somnolait à moitié en attendant d’arriver au cinquième étage. Parfois un bonjour murmuré du bout des lèvres devant la machine à café. Personne ne les avait officiellement présentés. Elle ne connaissait pas son prénom, il devait être créa, pensait-elle, puisque le cinquième étage est leur territoire exclusif. Cette bague qu’il portait à l’annulaire gauche l’intriguait : elle était bien trop grosse pour être une alliance et en même temps, cet emplacement n’était pas neutre de significations

Lui savait qu’elle s’appelait Judith et avait deviné à une conversation involontairement surprise qu’elle devait être stagiaire. Elle descendait au deuxième étage : elle pouvait donc être aux RP, ou commerciale, ou au planning. Il n’aurait même pas remarqué cette fille si ce petit con de Jonathan, l’administrateur réseau, sympa, beau gosse mais crâneur, ne l’avait pas draguée, juste sous ses yeux. «Et donc Judith, ça te plaît la boîte ? Aimerais-tu qu’on déjeune cette semaine ?». En général, quand Jonathan proposaitun déjeuner, on pouvait être quasiment sûr que trois jours plus tard, à la pause clope, il raconterait en détail les prouesses sexuelles de la fille. Il fut surpris quand ladite Judith déclina son offre, poliment, sans condescendance, mais avec fermeté. «Ok, c’est toi qui vois», avait-il répondu, vexé.

Ce refus l’intrigua et il se mit à l’observer avec attention. Elle était plutôt jolie, blonde, yeux noisette, un peu trop maquillée pour le bureau. Elle portait une chemise noire avec une échancrure assez large pour laisser entrapercevoir un beau 95 C, un jean étroit qui moulait une paire de fesses musclées et de petits escarpins pointus qui remontaient son 1m64. En général, les (rares) filles qui déboutaient les tentatives de séduction de Jonathan étaient soit totalement coincées, soit très mariées. Judith n’avait pas l’air timide, au contraire, elle avait un côté lascif et aguicheur qui ne lui déplut point. Peut-être que Jonathan n’était pas son style de mecs après tout, peut-être qu’elle n’était pas du genre à se laisser impressionner par un grand brun aux yeux clairs. Est-ce qu’un homme comme lui, châtain, de taille moyenne, aux yeux marron, avait davantage de chances de la séduire ?

Il y pensa en regagnant son bureau et puis à l’instant où il s’assit sur son fauteuil, il se plongea dans la maquette qu’il devait boucler et il l’oublia. Judith, quant à elle, l’avait regardé partir en observant sa démarche nonchalante, rivée à son postérieur bien mis en valeur par son jean (elle détestait les fessiers noyés dans des pantalons trop larges). Il lui plaisait beaucoup, ce créa du 5ème étage. Si seulement il pouvait se décider à l’aborder … Elle avait presque hâte d’être le lendemain matin, pour avoir l’occasion de lui dire bonjour à nouveau, et de trouver un prétexte pour lui parler.

L’ironie voulut qu’ils n’arrivèrent plus à se croiser pendant plusieurs jours. Il avait une semaine chargée, une reco importante à boucler, il ne sortait pas de son bureau. Elle, à son tour, était arrivée en retard plusieurs matins d’affilée (pannes intempestives sur sa ligne de métro) et ne déjeunait plus à l’agence. Chacun vaquait à ses occupations, on n’y pensait plus. Et puis il y eut le meeting créatif du jeudi après-midi. Tous les collaborateurs avaient été conviés dans la grande salle de réunion. C’était le rendez-vous mensuel de l’agence, au cours duquel le directeur de la création, en alternance avec le directeur du planning, présentaient les nouveaux projets, les «competitive review» des concurrents, les cahiers de tendance. Ces réunions jouissaient d’une grande popularité au sein de l’agence, la salle était souvent bondée, la moitié des gens se tenaient debout, faute de sièges. Judith était arrivée un peu avance, munie d’un crayon et d’un carnet, pour être sûre d’avoir une bonne place. Peu de temps après, il n’y eut plus une chaise de libre et la réunion commença.

Il était là, naturellement, adossé au mur, les mains dans le dos, la tête penchée légèrement à droite, suivant du bout de l’oreille le discours du patron. Justement, ce dernier avait commencé par présenter sa toute dernière création, qu’il venait de terminer à grand renforts de cafés et de nuit blanches. C’était une publicité pour une marque de soft drinks. Tout le monde avait les yeux braqués sur l’écran, sauf Judith, qui le regardait, lui, ou plutôt, la cicatrice qui courait dans son cou. Une longue balafre de douze centimètres qui partait de son oreille droite et qui s’enroulait autour de sa nuque pour disparaître sous le col du T-shirt. Jusqu’où descendait-elle ? Qu’est-ce qui l’avait causée ? Avait-il était agressé ? Avait-il eu un accident grave ? Avait-il failli mourir ? Elle ressentait une excitation étrange à imaginer son torse couvert de sang, à pronostiquer la texture de l’épaisse suture cicatrisée sous sa langue ou ses doigts. Echauffée par ces pensées, elle enleva la chemise qu’elle portait, pour dévoiler un débardeur délicat en satin mauve, ourlé de dentelle.

Ce geste attira son regard sur Judith. Elle avait de très belles épaules, rondes et douces, sans aspérités claviculaires, et un grain de peau très pâle. Ses cheveux blonds caressaient la naissance de ses seins, qu’il devinait en poire. Le genre de forme qui lui aimait prendre à pleine bouche. Judith s’aperçut vite qu’il la dévisageait mais n’osait lever les yeux, ou seulement l’espace d’un clignement de paupière, pour vérifier qu’elle ne se trompait pas. C’était drôle : tout le monde regardait une série de publicités explicites (l’un des sujets de la réunion étant «le sexe dans la pub»), sauf Judith qui dévisageait son créa, qui l’observait du coin de l’oeil. Lorsque leurs yeux se croisèrent, elle reçut une décharge fébrile dans les reins et baissa le regard, avant de lever la tête à nouveau. Nul besoin de traduction, leurs yeux parlaient le langage le plus limpide de tous, celui du désir, immédiat, puissant et douloureux.

Judith sentit qu’elle était baignait dans son excitation, une moiteur familière et tiède qui allait couler le long de ses jambes lorsqu’elle se relèverait. Est-ce que le créa s’en apercevrait ? Est-ce que la mouille féminine dégage une odeur qui pourrait la trahir ? Elle n’était pas la seule à avoir quelque chose à dissimuler. A cette distance, elle ne voyait les tourments qu’elle provoquait en lui. Il fut obligé de mettre ses mains devant sa braguette, de peur que quelqu’un s’aperçoive qu’il bandait (il eût été gêné qu’on pense qu’une publicité où des gens font semblant de faire l’amour l’excitait). Ce sont des images toutes autres qu’il avait devant les yeux : les seins de Judith débordant de sa bouche, les cheveux de Judith maintenus dans sa paume, Judith, renversée sur la table, les jambes écartées et offertes, Judith à plat ventre, en train de subir ses assauts par derrière …

Une série d’applaudissements le rappela à la réalité : la réunion était terminée. Un grand remue-ménage se fit dans la salle, à mesure que chacun prenait ses affaires et se dirigeait vers la sortie. Il fut gêné de cette promiscuité des corps qui allait le trahir. Manque de chance, ce n’était pas Judith qui était devant lui, mais Francine, 53 ans, 95 kilos, la responsable des Services Généraux. Il débanda très vite. Quelqu’un se pressait derrière lui, quelqu’un qui avait visiblement hâte de revenir à son bureau, quelqu’un qui n’hésitait pas à pousser à droite et à gauche. Quelqu’un qui avait glissé un papier dans la poche arrière de son jean. C’était Judith. En un clin d’oeil, elle s’était faufilée vers la sortie, laissant dans son sillage le contact éphémère avec sa peau douce et son parfum, vanillé. Il rebanda immédiatement.

Une fois à l’extérieur de la salle et à l’abri des regards indiscrets, il déplia le bout de papier d’une main moite. Il y était inscrit au crayon à papier : «Rejoins-moi dans la salle des photocopieuses du 4ème. Tout de suite». Il ne mit pas longtemps à se décider, il se rua vers l’escalier, descendit rapidement les deux étages et s’engouffra dans le couloir, très long, au bout duquel il y avait la salle de reprographie peu fréquentée et surclimatisée. Il prit une inspiration avant de pousser la poignée.

La salle était plongée dans l’obscurité. Il faisait un peu froid. «N’allume pas !», dit elle en s’approchant de lui. Le premier baiser, timide, fut plutôt un frôlement préliminaire et superficiel, comme un protocole de reconnaissance. Il huma son parfum sucré et elle, du bout des doigts, chercha la cicatrice dans son cou. Il n’y avait pas de doute, c’était lui, c’était bien elle. Leurs baisers s’approfondirent et s’échauffèrent. Il avait les mains agrippées à son petit cul taille 36 et la maintenait plaquée contre son bassin, afin qu’elle sente à quel point il avait envie d’elle. D’une main agile, il partit à la recherche de sa culotte. Son excitation redoubla quand il se rendit compte qu’elle n’en portait pas ! Elle s’était démultipliée en plusieurs fragments, l’assaillant par tous les côtés. Les baisers de Judith dans son cou, la langue de Judith sur sa cicatrice, la main de Judith qui déboutonne sa braguette … Lorsqu’il saisit d’une main avide sa lourde poitrine, libérée du soutien gorge qui l’oppressait, il douta de sa capacité à se contenir très longtemps.

«Qu’est-ce que tu veux de moi?» lui demanda-t-il, dans un râle de plaisir, alors même que son pantalon venait de tomber à ses chevilles.
«Tu ne le sais donc pas?» fit-elle, taquine, en saisissant son sexe. «Je veux que tu me baises»
«Ici ?»
«Ici. Maintenant. Tout de suite.»

Il n’était pas du genre à se l’entendre dire deux fois. Il la souleva et en un quart de tour, Judith se retrouva le dos nu contre la porte lisse et froide. Les jambes enserrant sa taille, ses cuisses écartées et tremblantes, elle était prête à le recevoir, avide et impatiente. Il fléchit les genoux pour la pénétrer, délicatement. Elle laissa échapper un petit cri. Il s’enfonça alors en elle complètement. Il s’éloigna pour revenir à nouveau, en répétant le geste de plus en plus vite. Le verrou tremblait et la porte claquait avec un son feutré et régulier, comme un métronome

«Attends, on va se faire repérer» lui dit Judith, en l’enjoignant de la poser à terre. Elle s’avança alors vers les photocopieuses, dont les néons verts éclairaient faiblement cette pièce sans fenêtre. Elle se pencha sur l’une des machines, les avant-bras en appui sur le clapet supérieur. «Viens».

Il releva sa jupe, passa une main entre ses cuisses pour caresser son clito, et de l’autre inséra son sexe dans sa petite chatte humide. Le mouvement du bassin reprirent et s’approfondir. Lorsqu’elle se mit à gémir un peu fort, il lui plaqua la bouche, tout en accélérant la cadence. Le bourdonnement des machines couvrait à peine les soupirs étouffés, et le claquement distinctif de ses couilles. Elle était proche de l’orgasme, il pouvait le sentir aux mouvements irréguliers de son bassin et à la manière dont elle contractait les muscles du vagin, enserrant l’étreinte autour de sa bite. Quand une des mains de Judith se faufila entre ses jambes pour tirer délicatement sur ses bourses, Il sentit que cette pression délicieuse et imprévisible allait le faire jouir. Il essaya de se contenir encore un peu, mais le plaisir, trop fort, allait échapper à son contrôle. Il se retira et l’instant suivant, il éjaculait sur le dos de Judith.

Ils restèrent prostrés, l’un sur l’autre, pendant cinq bonnes minutes, pour se calmer, pour reprendre une respiration normale. Quelques gouttes de sperme vinrent tomber sur une feuille de papier, une photocopie que personne ne récupèrerait. Puis Judith eut froid, elle se dégagea de son étreinte, chercha ses affaires pour les remettre promptement. Sans se retourner elle se rhabilla, tandis qu’il revenait encore à lui. Elle se baissa pour ramasser son T-shirt par terre et le lui jeta, un sourire au coin des lèvres et un feu aux joues qui ne manquerait pas de la trahir. Judith s’en fichait.

Quand elle fut prête, elle s’approcha de lui pour un dernier baiser, du bout des lèvres, aussi timide que le premier. Elle murmura «Rendez-vous demain, à la même heure» avant de repartir, le laissant dans une posture débrayée, le torse nu, la bite à l’air, le pantalon aux genoux.

Ils ne s’était jamais vraiment parlé.

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